Il y a 2 ans, alors que je commence tout juste à lire régulièrement, je tombe sur L’art de la victoire, la biographie de Phil Knight, fondateur de Nike.
Chaque jour, je suis aspirée un peu plus dans cette histoire.
Chaque matin, j’ai hâte de finir ma journée pour retrouver mon livre.
Chaque soir, je lutte contre le sommeil pour lire une page de plus.
Alors oui, Phil Knight est un entrepreneur de génie qui a créé l’une des plus belles entreprises du monde. Mais au-delà de l’homme et de son histoire, c’est bien le style d’écriture qui m’a porté.
Ce n’est que récemment que j’ai appris que derrière Phil Knight, il y a en réalité un ghostwriter. LE ghostwriter : J.R. Moehringer.
L’histoire du fondateur de Nike est son deuxième chef-d’œuvre. Il commence dans le genre avec Open, la biographie d’Andre Agassi, probablement la plus recommandée de tous les temps. Et plus récemment, il est derrière Spare, la biographie du Prince Harry.
Le ghostwriting est un milieu mystérieux. Les ghostwriters restent dans l’ombre, on ne connaît pas leur process.
J’ai moi-même fait mes apprentissages seule.
Alors, quand le boss du game écrit un essai pour raconter les dessous de ses collaborations, je l’écoute. Plus que ça, j’en retire des leçons. La première : être ghostwriter, c’est bien plus qu’écrire.
Voici ce que J.R. Moehringer peut nous apprendre sur le métier de plume.
NB : Le terme auteur fait référence au client, la personne pour qui le ghostwriter écrit.
Pour clarifier, écrire des posts LinkedIn pour une page entreprise ou écrire une newsletter de marque N’EST PAS du ghostwriting. On parle de ghostwriting quand on écrit au nom d’une personne et non d’une marque.
Pour rendre cet article accessible au plus grand nombre, j’ai traduit librement les citations (appuyez sur la flèche pour faire apparaître la version française).
Ghostwriter est un métier à la mode sur LinkedIn. Les CEOs et fondateurs comprennent la puissance de ce réseau, mais n’ont pas le temps ou les compétences pour rédiger leurs posts.
Certains copywriters ont vu une opportunité et ont commencé à proposer leurs services pour écrire des posts, moi la première. Seulement voilà, être ghostwriter va bien au-delà de la maîtrise des codes de LinkedIn.
Le métier de plume existe depuis la nuit des temps. Derrière les discours des hommes et femmes politiques, derrière les prises de parole des sportifs, derrière les autobiographies de grands hommes et femmes… On trouve presque toujours un ghostwriter.
Aucun mal à cela, car écrire est un métier et ce n’est pas le métier de ces gens-là.
Parfois, ne pas être en mesure de mettre des mots sur ses pensées est une souffrance. Ne pas être capable de raconter son histoire peut se transformer en véritable blocage physique.
C’est ce qui a poussé J.R. Moehringer à travailler avec Andre Agassi sur son autobiographie. C’était la première fois qu’il se prêtait à l’exercice.
"Apart from a beef with my bosses, and apart from the money (Andre was offering a sizable bump from my reporter salary), what finally made me change my no to a yes, put my stuff into storage, and move to Vegas was the sense that Andre was suffering an intense and specific ache that I might be able to cure. He wanted to tell his story and didn’t know how; I’d been there. I’d struggled for years to tell my story."
“En dehors de mon animosité envers mes patrons, et en dehors de l’argent (André offrait une augmentation considérable de mon salaire de journaliste), ce qui m’a finalement fait changer mon non en oui, mettre mes affaires en stockage et déménager à Vegas, c’est l’impression qu’André souffrait d’une douleur intense et spécifique que je pourrais peut-être guérir. Il voulait raconter son histoire et ne savait pas comment ; j’ai été dans cette position. J’avais lutté pendant des années pour raconter mon histoire.”
Quand on possède un talent d’écriture, on ne perçoit pas la difficulté que certaines personnes ressentent pour s’exprimer.
Écrire a de nombreuses vertus, mais l’aspect thérapeutique est ma préférée. Coucher ses pensées sur le papier permet de les organiser, de les clarifier, parfois de faire la paix avec des souvenirs douloureux.
Les écrivains ont une chance incroyable de posséder ce don. Ils noircissent des pages avec aisance, quand d’autres sont en souffrance devant une feuille blanche.
Le ghostwriter aide ces personnes à sortir leurs pensées. Il s’approche du travail du psychologue, il agit comme un médecin de l’esprit. En posant les bonnes questions, au bon moment, il peut tout changer.
Si vous souhaitez devenir ghostwriter, vous devez d’abord comprendre qu’il ne s’agit pas simplement de connaître les frameworks de copywriting pour être efficace dans votre job. L’empathie et l’altruisme sont des qualités indispensables.
Pour une collaboration efficace, le lien entre le ghostwriter et l’auteur doit être une évidence. Ma lecture de l’essai de J.R. Moehringer a confirmé mon intuition sur ce point.
À chaque fois qu’il a pris la plume au nom de quelqu’un d’autre, il y avait une ressemblance entre eux, une étape de vie similaire, une alchimie.
"The same almost painful gratitude that I felt toward my mother, and toward my bartender uncle and his barfly friends, who helped her raise me, Andre felt for his trainer and his coach, and for his wife, Stefanie Graf."
“André ressentait pour son entraîneur, son coach et sa femme, Stefanie Graf, la même gratitude presque douloureuse que j’ai ressentie pour ma mère, mon oncle barman et ses amis qui l’ont aidée à m’élever.”
“Phil wanted to write a literary memoir, unfolding his mistakes, his anxieties—his quest. He viewed entrepreneurship, and sports, as a spiritual search. Since I, too, was in search of meaning, I thought his book might be just the thing I needed."
“Phil voulait écrire un mémoire littéraire, dévoilant ses erreurs, ses angoisses, sa quête. Il considérait l’entrepreneuriat et le sport comme une recherche spirituelle. Comme moi aussi j’étais en quête de sens, j’ai pensé que son livre pourrait être exactement ce dont j’avais besoin.”
"Prince Harry. I agreed to a Zoom. I was curious, of course. Who wouldn’t be? I wondered what the real story was. I wondered if we’d have any chemistry. We did, and there was, I think, a surprising reason. Princess Diana had died twenty-three years before our first conversation, and my mother, Dorothy Moehringer, had just died, and our griefs felt equally fresh."
“Pour le Prince Harry, j’ai accepté un zoom. J’étais curieux, bien sûr. Qui ne le serait pas ? Je me demandais quelle était la véritable histoire. Je me demandais si nous aurions une alchimie. Et il y en avait une, je pense pour une raison surprenante. La princesse Diana était décédée vingt-trois ans avant notre première conversation, et ma mère, Dorothy Moehringer, venait de mourir, et nos chagrins étaient tout aussi frais.”
Je suis convaincue qu’on ne peut pas écrire pour quelqu’un dont on ne partage pas les valeurs et les idéaux. La personnalité doit aussi être alignée. J’ai vu des ghostwriters lisses tenter d’écrire des posts pour des auteurs plutôt engagés et clivants. Ça ne peut pas marcher.
Car même si on essaie de fondre notre style d’écriture, on ne peut pas nier qu’il transparaît. Si vous me lisez régulièrement et que vous êtes attentif, vous identifierez certainement mes clients dans votre feed LinkedIn et dans certaines newsletters.
La relation entre le ghostwriter et le client est intense, presque intime. Étrangement, dans un sens seulement. Le ghostwriter connaît tout de l’auteur, alors que l’auteur en sait peu sur le ghostwriter. Pour être en mesure d’assumer ce lien intense, vous ne pouvez pas faire autrement que de partager les idées de l’auteur.
Plus qu’écrire des posts LinkedIn, une newsletter ou une biographie, le ghostwriter est le conseiller particulier de l’auteur. L’avis extérieur qui juge de l’utilité de partager telle ou telle information avec le lecteur.
“One of a ghostwriter’s main jobs is having a big mouth. You win some, you lose most, but you have to keep pushing, not unlike a demanding parent or a tyrannical coach. Otherwise, you’re nothing but a glorified stenographer, and that’s disloyalty to the author, to the book—to books. Opposition is true Friendship, William Blake wrote, and if I had to choose a ghostwriting credo, that would be it.”
“L’une des tâches principales d’un ghostwriter est d’avoir une grande gueule. Vous gagnez quelques batailles, vous en perdez le plus souvent, mais vous devez continuer à pousser, un peu comme un parent exigeant ou un entraîneur tyrannique. Sinon, vous n’êtes qu’un sténographe glorifié, et c’est de la déloyauté envers l’auteur, envers le livre — envers les livres. L’opposition est la vraie amitié, écrivait William Blake, et si je devais choisir un credo de ghostwriter, ce serait celui-là.”
Selon moi, pour appliquer ce principe au milieu du marketing et du business, le ghostwriter doit avoir une vision d’ensemble, comprendre comment la prise de parole de l’auteur s’insère dans la stratégie globale. Pour trancher si oui ou non, on doit développer une idée. Pour être force de proposition et pousser l’auteur à aborder certains sujets.
Pour cela, la compréhension de l’univers de l’auteur est essentielle. Vous ne pourrez pas être efficace si vous ne comprenez rien à son secteur d’activité, au business ou au marketing dans son ensemble.
Si vous n’êtes pas passionné de business et de marketing, ne devenez pas ghostwriting pour CEO ou fondateurs de start-ups. Tout comme si vous n’êtes pas passionné de politique, ne devenez pas ghostwriter d’hommes ou femmes politiques.
Le ghostwriting exige une implication totale. C’est presque penser en amont de l’auteur pour l’aider à extraire ses propres pensées. Si vous n’êtes pas prêt à vous impliquer dans son univers, vous serez en souffrance. Et écrire en souffrance ne donne jamais rien de bon.
En revanche, si vous êtes passionné et avez envie de faire ce travail de recherche et de veille, vous aurez la possibilité de vous épanouir et d’apprendre aux côtés de personnes inspirantes aux parcours parfois incroyables.
Imaginez être le ghostwriter du CEO d‘une licorne française. Vous êtes son confident, il vous raconte ses journées… Nul doute que cette collaboration vous nourrit de bien des façons.
Pour résumer, les compétences rédactionnelles sont évidemment une base indispensable pour être ghostwriter, mais elles sont loin d’être suffisantes. Je crois que le ghostwriter est à l’intersection du journaliste et du copywriter.
Il est capable de fouiller pour trouver les informations et récolter les faits indispensables pour raconter une histoire qui captivera le lecteur.
Et il a les compétences marketing pour comprendre comment mettre cette histoire au service de la marque personnelle de l’auteur.
Enfin, le métier de ghostwriter demande d’être complètement impliqué pour quelqu’un d’autre et de lâcher prise en même temps.
Vous ne pourrez pas faire correctement votre job sans être émotionnellement à 100 % avec l’auteur. Mais, vous ne serez jamais mis en avant. Vous ne recevrez pas les lauriers pour un post à 1 million de vues, une newsletter à 10 000 abonnés, ou un livre vendu à des millions d’exemplaires. Il faut être capable de l’accepter.
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Source : Notes from Prince Harry’s Ghostwriter by J.R. Moehringer for The New Yorker – 8 mai 2023
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